Les All Blacks : une belle culture d'entreprise

Il y a quelques semaines, la coupe du monde de rugby s'est achevée sur la victoire de l'équipe néo-zélandaise des All Blacks. Une de plus.
Elle a signé un exploit unique : gagner deux fois de suite la coupe du monde.
Comment un petit pays comme la Nouvelle Zélande peut-il dominer régulièrement l'Afrique du Sud, l'Angleterre ou la France avec 2 à 5 fois moins de joueurs ?
Quels que soient les joueurs, les entraîneurs, l'évolution des règles, le résultat est presque toujours le même : la victoire. Depuis plus de 110 ans.
Quelle entreprise peut se vanter d'une telle domination ? Quelles sont les raisons d'une telle suprématie ?

Découvert en 1642 par les européens, la Nouvelle Zélande fut longtemps peuplée par des agriculteurs durs au mal et de rugueux guerriers maoris. Et c'est dans le rugby que ces qualités s'exprimèrent le mieux. L'équipe nationale est l'étendard de ce petit pays, l’ambassadeur, son meilleur atout pour exister sur la scène internationale.

                                                         Prendre part au mythe All Black

Être une All Black est le rêve de tous les gamins. C'est un honneur mais aussi un devoir, celui d'être à la hauteur de ceux qui ont porté le maillot noir avant eux : "leave the jersey in a  better place".
Cet héritage, fort et glorieux, transcende la notion d'individu. Seul compte les All Blacks. Les meilleurs joueurs gagneraient mieux leur vie dans les championnats européens ou japonais. Pourtant, ils préfèrent rester dans leur pays pour avoir le privilège de devenir un All Black.
Car être un All Black, c'est entrer dans une famille. On est un All Black pour la vie, même quand on ne joue plus au rugby.
On peut se demander, en tant qu'entreprise, que club, quelle est notre attractivité ? Vu de l'extérieur, quelles sont notre image, nos valeurs ? Sommes nous susceptibles d'attirer les meilleurs ? A-t-on le sentiment d'être un privilégié lorsqu'on qu'on vient chez nous ? Nos collaborateurs sont-ils fiers d'arborer le logo de leur société, comme certains  le jersey noir à la fougère argentée ?
Les notions d'histoire, d'héritage sont primordiales pour donner un sens à  notre action quotidienne. Connait-on le passé de notre société ? A-t-on envie de participer à son histoire, d'y tenir un rôle déterminant ?
Si on veut grandir, il ne faut pas se couper de ses racines. Etre heureux et fier d'être l'acteur d'une histoire qui se poursuivra après nous. Mais dont nous aurons écrit quelques lignes. A jamais. Être All Black, c'est ça. Et nous, qui sommes nous ?

Lors du quart de finale contre la France, une chose m'a frappé, le plaisir qu'avaient les All Blacks à jouer. Le contraste était saisissant avec les français paralysés par l'enjeu et la peur de perdre. Cette impression s'est confirmée lors des matchs suivants, contre des adversaires de qualité. Même tenus en échec, ils ont gardés confiance. Ils n'ont pas déjoués.

Jouer pour le plaisir, la victoire comme conséquence

Car pour eux la victoire est une conséquence. Pas un objectif. Les All Blacks se concentrent pour produire du jeu, se passer la balle, courir, plaquer : jouer et prendre du plaisir. Ils se focalisent sur la création de conditions de jeu favorables, positives. S'ils y parviennent, la victoire arrivera d'elle même. Le plan de jeu proposé par les entraîneurs est partagé et accepté de tous. Mieux, il est inscrit dans leurs gênes. Car c'est tout jeune que les néo-zélandais apprennent ce jeu de mouvement basé sur l'alternance de courses et de défis physique. Un jeu vif, rapide, rugueux et enthousiasmant. Un jeu pratiqué longtemps juste pour le plaisir. Car les matchs éliminatoires, les championnats, ne débutent que tard dans la carrière du joueur.
L'éternel succès des All Blacks prend racine ici. Dans cette capacité à dérouler leur jeu, quel que soit l'enjeu. A se préoccuper plus de la manière que du résultat. Le jeu pour le jeu. Un jeu peaufiné dès leur plus jeune âge. Un jeu simple, auquel tous les joueurs adhèrent. Car ils y prennent du plaisir.
Le travail c'est sérieux. Gagner une coupe du monde de rugby aussi. Et pourtant les All Blacks l'ont fait en y prenant du plaisir, parce qu'ils y ont pris du plaisir.
La notion de plaisir au travail est presque toujours absente. Pourtant pense-t-on motiver une équipe avec des procédures, des résultats financiers ou des ratios ? Le moteur de l'humain est le plaisir, s'amuser. Du plaisir découle l'implication, la motivation, le dépassement, la recherche d'excellence. Pourquoi ignorer un levier si puissant ?

Dans nul autre sport que le rugby, l"équipe n'a autant d'importance. Mais chez les All Blacks, elle prend une autre dimension.
Graham Henry, puis Steve Hansen, les deux derniers head-coachs, ont bâti une équipe sûr de sa force mais humble, une équipe prompte à la remise en question, pour toujours progresser.

Chacun joue et à confiance en l'autre. Il n'y a pas de star

On peut croire que la force des All Blacks c'est leur supériorité physique, technique ou tactique. Il n'en est rien. Si l'équipe des All Blacks est la meilleure, c'est qu'il n'y a pas de star, chacun joue pour l'autre, chacun a confiance en l'autre. Ils en foi en eux, en leur capacité à l'emporter, à la fin, toujours.
L'intelligence des entraîneurs est de laisser de l'autonomie aux joueurs, sur et en dehors du terrain. Ils sont impliqués dans les choix tactiques, l'organisation de la vie collective. Ils dirigent eux même les derniers entraînements. Pendant le match, si besoin, ils ont la liberté de modifier le plan de jeu.
Le rôle des l'entraîneurs est de former les meilleurs joueurs, sportivement et humainement, de leur donner les "outils" pour qu'ils puissent faire face à toutes les situations de jeu. Ils créent un environnement positif où l'on cherche à devenir meilleur. En permanence. Enfin ils veillent à ce que chacun garde l'humilité qui fait les grands champions. Chaque joueur, à tour de rôle, balaie le vestiaire après l'entraînement.
On ne peut parler des All Blacks sans parler du Haka.
Du folklore pour certains. En fait un puissant outil de management. Car le Haka est un rituel qui résume tout : l'histoire néo-zélandaise, le désir d'exister, de vaincre, le respect de l'adversaire. Il efface les efforts et les souffrances endurées. Il unit une équipe et une nation. Il relie une équipe à celles qui les ont précédées et qui, comme elle, ont chanté le Haka face à leur adversaire. Depuis 1905.
Dans nos entreprises, quelle importance accordons nous à l'équipe ? Sommes nous conscient du potentiel collectif de nos collaborateurs ? Que faisons  nous pour  améliorer les équipes dont nous avons la responsabilité. Trop souvent nous nous contentons de gérer les individus, au jour le jour, sans réflexion globale. Pourtant l'équipe est la base de tout. C'est elle qui est en première ligne, au "contact". Elle est l'acteur principal de notre activité. Meilleure sera l'équipe, meilleure sera l'entreprise.

Parce qu'elles sont toutes deux à la recherche de victoires, qu'elles doivent toujours s'améliorer sous peine d'être reléguées au second plan, qu'elles sont la rencontre d'un manager/entraîneur et d'un groupe d'individus, les différences entre une équipe sportive et une équipe de collaborateurs sont minimes.
Parfois il est bon de s'inspirer de ce qui se pratique dans des domaines voisins, si l'on veut progresser et évoluer. Le rugby et ses valeurs de solidarité, de combat collectif, de respect et de plaisir est le sport qui peut le plus apporter au monde de l'entreprise.
Les All Blacks sont la meilleure équipe, tous sports collectifs confondus. Le prestige d'être un All Black, le plaisir de jouer avec les All Blacks, la force collective des All Blacks sont les piliers des leurs succès à répétition. Nous aurions tout à gagner à adopter un management plus "rugbystique" de nos équipes.

Quand on travaille au golf de Saint-Germain-en-laye ou à celui de Vineuil Chantilly, il est facile de sentir l'histoire qui transpire. Elle est partout : dans le modelé d'un green, l'emplacement d'un bunker ou l'architecture du club house. Cette notion d'héritage donne un sens profond à l'action quotidienne des équipes et les motive à atteindre des objectifs ambitieux.

D'où venons nous et où voulons nous aller ?

Mais pour les autres clubs, plus récents ou ne recevant pas de grands tournois, quelle est leur histoire ? Quel récit donnera corps aux efforts de tous ?
Qui sommes nous, d'où venons nous et, plus important, où voulons nous aller ? Ces questions doivent être posées, car bien souvent cette absence de vision passée et future est à l'origine de la stagnation, voir de le régression d'un club ou d'une entreprise.
L'ambition secrète de tout être humain est de laisser une trace de son passage sur terre. Pour le meilleur ou le pire. C'est notre nature. A nous manager d'inventer le récit qui permettra à nos équipiers de s'investir, de satisfaire leur désir de reconnaissance, leur besoin de postérité. A nous de leur donner l'occasion d'être les acteurs d'une belle histoire dont ils pourront écrire un chapitre. Leur histoire dans l'histoire.

Très souvent une personne qui rie, blague, montre son plaisir, est mal vue dans le milieu professionnel. Pas sérieuse, pas fiable, pas travailleuse pense-t-on. Il faut paraître concentré, austère, morne pour afficher sa compétence et son engagement. Et les réunions sont parfois bien lugubres. Juste une question d'ambiance au travail ? Bien plus que cela.

Prendre du plaisir pour être plus performant 

Le plaisir, avec le manger et le dormir, fait partie des besoins vitaux de l'homme. C'est grâce au plaisir procuré par le jeu, que l'enfant acquiert des connaissances aussi fondamentales que marcher, écrire, lire, se sociabiliser. Cependant, quand on accède à l'âge adulte, il est de bon ton de troquer la notion de plaisir pour celle de devoir. Mais crois-t-on motiver durablement des équipes à atteindre des objectifs élevés, uniquement par devoir ? De plus ce principe est à double sens. Il implique que l'employeur remplisse son devoir salarial et managérial envers l'employé. Ce qui n'est pas toujours le cas.
Si l'équipier n'éprouve pas de plaisir à exercer son métier, il ne s'investira pas. Il restera dans un rôle d'exécutant. Il est important, avant de chercher une performance financière, de créer les conditions propices à l'adhésion, la participation des collaborateurs au projet d'entreprise. Un étape bien souvent négligée.
Cela implique de l'écoute, le sens de l'autocritique et de la remise en question et le respect. Cela implique aussi, qu'en plus d'objectifs budgétaires, il y ait des objectifs qualitatifs. Et que les deux soient cohérents.
Car gagner de l'argent n'est pas un objectif, mais une conséquence. Si un joueur vient dans un golf, ce n'est pas pour améliorer le chiffre d'affaire du club. Mais parce qu'il y trouve, en terme d'accueil, de restauration et de parcours, ce qu'il recherche. C'est en définissant, de manière collégiale, les critères qualitatifs pour être attractif, que les conditions de "jeu" pour gagner de l'argent seront réunies. Comment gagner si l'on ne sait pas comment marquer des points ? Il ne suffit pas de proclamer que l'on veut être les meilleurs, il faut définir une stratégie avec des étapes à respecter.
Avec une ligne directrice claire et concrète, les équipiers pourront s'impliquer, se motiver pour aller dans la direction proposée. Il y prendront du plaisir et alors une puissante dynamique se mettra en mouvement.
Si en visitant une entreprise, vous constatez que ses collaborateurs ont le sourire, c'est qu'elle aura choisi le plaisir comme moteur de ses ambitions.

Imaginez un entraîneur qui, seul, décide de la stratégie, de la teneur des entraînements, des objectifs de compétition et qui, par une note de service ou une simple réunion, se contente de l'annoncer à son équipe. Imaginez les All Blacks fonctionnant ainsi. Auraient-ils eu autant de victoires ? La réponse est évidente.
Car en opérant ainsi, à l'image de tant de sociétés avec un management descendant, on se prive du plus important : l'adhésion de l'équipe. Quelle ressource est plus importante que l'équipe ? Ce ne sont pas la couleur des machines, le qualité des engrais ou la marque des arroseurs qui font la qualité d'un golf, mais son équipe.
L'équipe, le trésor oublié

Malheureusement à l'époque de la financiarisation ou de l'informatisation des entreprises, les employés ne sont bien souvent que de simples rouages, au même titre qu'un logiciel de réservation ou qu'une tondeuse : une ligne de dépense. Et s'ils sont considérés ainsi, c'est que les entreprises ne savent pas exploiter la richesse qu'ils ont à leur disposition. Tout le monde ne peut pas être un entraîneur entraînant.
Mais pourquoi l'équipe est-elle si importante ?
L'équipe c'est la bande, le clan, la tribu. On s'y sent bien, on s'y sent protégé, on s'y sent fort. L'homme a toujours cherché à se regrouper pour se garder des agressions extérieures, chasser ou conquérir de nouveaux territoires. Car il a vite compris qu'à plusieurs, on était plus fort, on pouvait accomplir plus de choses. C'est un instinct enfoui en nous. De fait, mettez plusieurs personnes ensemble, donnez leur une tâche commune à réaliser, professionnelle ou sportive et une équipe se mettra vite en place.
La mission première d'un manager, à l'image de celle d'un entraîneur, est de tirer le meilleur parti de son équipe, la bonifier, lui donner un but, une ligne de conduite, une identité dont elle sera fière.
Il faut être à l'écoute de son équipe, sentir son état d'âme, repérer les éléments perturbateurs, s'appuyer sur les leaders positifs, faire parler la majorité silencieuse. Il faut trouver les bons mots pour répondre aux non-dits, savoir s'effacer ou monter aux créneaux quand il le faut.
Manager une équipe est, ou devrait être, la principale activité d'un greenkeeper ou d'un directeur. Encore faut-il y avoir été formé et avoir du temps pour le faire.
A l'heure des budgets serrés et des chiffres d'affaire stagnants, les ressources des sociétés devraient être concentrées sur sa principale richesse : l'équipe. Il faut l'accompagner, la guider, l'aider, la soutenir dans son combat de tous les jours.
Il est temps de remettre de la logique dans le fonctionnement des entreprises. Les All Blacks l'ont fait avec la réussite que l'on connait. A notre tour !

Le désir d'appartenir à un groupe, une équipe, la recherche du plaisir et le besoin de postérité ont guidé l'humanité depuis toujours. Les All Blacks, en incarnant mieux que les autres ces valeurs fondamentales, connaissent un destin unique.
Et si pour avoir du succès, il fallait s'appuyer sur la nature profonde de l'homme, au lieu de l'étouffer sous le carcan d'un management trop directif ?






















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