Welcome into my world



Je suis chanceux. J'ai connu un architecte de golf parmi les meilleurs, Robert Von Hagge, malheureusement disparu en 2010. De l'avoir vu travailler a été un privilège. Durant le temps où j'ai participé à la construction du golf de Courson-Monteloup, j'ai été invité dans son monde. Un monde où le bulldozer était un pinceau, la topographie, les terrassements, les réseaux de drainage, d'arrosage, des outils. Un monde où le jeu de golf lui-même était un vecteur, un vecteur d'émotions.





Car pour Bob, le golf était peur, challenge, choix, courage, contrôle, récompense, plaisir, amusement. Son monde n'était pas un monde matériel mais un monde de sensations.
Lorsqu'on en vient aux sensations, surgit l'énigme de leur perception. J'étais étonné de voir l'inquiétude, puis le plaisir qu'il afficha devant les commentaires positifs, des premiers joueurs de retour d'avoir joué Courson. Hé quoi ? Si le terrain a été dessiné et construit correctement, pourquoi s'inquiéter ? C'est que Bob savait mieux que quiconque que la perception ne se contrôle pas, ne se fabrique pas, ne se prévoit pas.

Robert Von Hagge, artiste génial, en modelant un parcours, en jouant sur les distances, en manipulant les perspectives, les dénivelés et les lignes d'horizon retranscrivait sa vision du golf et les sensations qu'il voulait faire ressentir aux joueurs. Ce golf, c'était son monde, sa perception de l'expérience qu'il souhaitait faire partager.

Jeux d'ombres et de lumières, Courson (France)
"Welcome into my world" pourriez-vous entendre, en plantant votre tee dans le départ du 1 lilas ou vert. Ses parcours étaient un voyage intérieur, une découverte, nous : face à l'impossible coup à jouer, au putt trop long sur un green trop bosselé, au choix audacieux de passer au-dessus du lac ou celui sécuritaire de jouer le fairway du 5 vert.

Welcome into my world, White Witch
Mais son monde était-il le nôtre ? Éternel angoisse du créateur, incompris, décrié par certains, adulé par d'autres. Car, que n'y a-t-il de plus trompeur que nos perceptions, royaume d'illusions et de chimères, fabriquées au moule de nos expériences, de nos rêves, de nos espoirs, de nos désespoirs.
Nous regardons mais nous ne voyons pas. Toute perception est interprétation. Le monde, notre monde, nous le fabriquons à la lumière de ce que nous révèlent nos cinq sens. Ainsi nous ne voyons pas le monde réel, mais une image construite par nos sens, à travers le filtre de nos émotions, de notre personnalité. Un monde d'apparences teinté de rêves.
Nous vivons dans notre tête, miroir du monde physique, imparfait et partial. A notre image. Parfois nous rêvons et nous percevons quelque chose. Comment être sûr que notre vie entière ne soit pas un rêve ?

La force de Robert Von Hagge, comme celle de tous les grands artistes, était de savoir imposer ses rêves, son univers. Un golfeur jouant un de ses parcours est submergé par la force de sa création. A coup de bosses imposantes, de larges étendues d'eau stratégiquement placées, d'immenses bunkers intimidants, mais aussi de subtils jeux de lumières, Bob inonde nos sens et nous entraîne à sa suite, dans son monde épique, héroïque, homérique. Un voyage dont on ne ressort jamais indemne, tant sa force suggestive est prenante.

De l'eau, des bosses, des bunkers à profusion,
Admirals Cove (USA)
Épuisé, rassasié, abasourdi, hébété, vous êtes lorsque le parcours vous rejette sur la gréve du 18. Échoué dans le monde de tous les jours, banal et ennuyeux, vous n'aspirez qu'à une chose, retrouver ce royaume romanesque dont vous étiez le héros, le preux chevalier affrontant les obstacles parsemés tout au long de votre quête. Une quête où, poussés dans vos retranchements, vos forces et vos faiblesses vous ont été révélées.

Affronter les obstacles, El Tigre (Mexico)
Robert Von Hagge a souvent été décrié pour la quantité de terrassements nécessaires à la construction de ses parcours. Il n'a pas toujours bénéficié de sites avantageux et il a dû faire preuve d'imagination pour aménager les terrains plats de Floride et les champs de Courson. Ces bosses, c'étaient les os, les muscles que Bob greffait aux terrains sans relief pour leur donner vie. Ils étaient la matière dont il se servait pour façonner le paysage à l'image de ses rêves les plus baroques.

Une imagination fertile, Les Bordes (France)
Il fallait le voir déclamer sa vision du parcours, inculquer aux shapers ce qu'il attendait d'eux, arpentant le chantier, survolant la boue et les flaques, gesticulant, insufflant son énergie à la terre inerte pour, tel un sorcier, l'éveiller, l'animer, la pétrir à l'image de son imagination fertile.

Un monde où l'imaginaire se mêle au réel, Les Bordes
Aujourd'hui, que reste-t-il de la magie de Robert Von Hagge ? Des parcours célèbres, mythiques. Des architectes, Rick Barill, Michaël Smeleck, entretenant la flamme à l'aune de leur talent.
La tendance est au minimalisme. Par soucis d'économie, moins de mouvements de sol onéreux. Par respect de l'environnement, moins d'altération des paysages. Pour retrouver le jeu de golf stratégique, oublié avec l'avènement du golf target. Comme juste retour des choses, après l'utilisation abusive des terrassements  dans la construction des golfs.
De fantastiques parcours minimalistes ont vu le jour. Souvent sur des sites d'exception.

Il serait regrettable que, au prétexte d'un retour aux sources du golf, on oublie le talent de Robert Van Hagge et tout ce qu'il a apporté à l'architecture moderne.
Mais j'ai confiance, il n'est pas parti. Il est dans chacun de ses parcours où il y a semé une parcelle de son esprit créatif. L'étincelle de son génie est là, attendant d'embraser le feu de celui qui voudra y nourrir son inspiration.


Robert Von Hagge (1927-2010), architecte de golf, a dessiné ou participé au dessin de plus de 250 golfs dans 20 pays différents dont le Doral Blue Monster (Miami), Boca Rio (Boca Raton), The Wooddlands TPC (Texas), Walden on lake Conroe (Texas), Bueno Aire Golf Club (Argentina), La Costa (California), Bosque Real (Mexico City), Kawaguchi-ko CC (Japon), Les Bordes (France) meilleur golf d'Europe continentale, Le Golf National (France) hôte de la Ryder Cup en 2018.

Welcome into my World, Les Bordes














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