Jour de colère


Dans la cour de la maintenance, les pneus de la golfette crissent sur le sable apporté par le mistral.
Lundi matin de merde. Le parcours couvert d'aiguilles de pins, une fuite au putting et un jardinier malade.
Mon bureau. L'ordinateur. Le planning de travail.
Un gars en moins, la réparation de la fuite, les greens, les départs et les bunkers à souffler. Putain, on va pas faire grand chose dans les roughs cette semaine.



Et le dollar spot sur les greens. Je traite ou pas ? C'est pas trop virulent, ça devait pouvoir attendre. De toute façon, pas le choix, on a pas le temps. 
En quelques cliques des cases se vident, puis se remplissent. Voilà, ça devrait le faire. La semaine prochaine va falloir s'occuper sérieusement des roughs, sinon, avec le paspalum, ça va être chaud. 
La sonnerie du portable. Une voie féminine.
- Monsieur Robert ? 
Non Jules. C'est pas grave, j'ai l'habitude.
- Vous êtes le greenkeeeper du golf de Valescure ?
- Non, de l'Estérel !
Qu'est ce qu'elle a ? Elle me cherche.
- Excusez-moi. Je fais une enquête sur les méthodes d'entretien des golfs.
Ouais, c'est ça, crache la ta Valda.
- Je voudrais savoir comment vous travaillez ?
Moi, aimable comme une râpe à bois :
- Comment ça, comment je travaille ?
- Oui, comment vous fertilisez ? 
Tu crois que je te voie pas venir.
- Je pratique du spoonfeeding. J'utilise un modèle mathématique basé sur la température moyenne pour déterminer le potentiel de pousse et les quantités d'azote à apporter selon les optimums de l'agrostis.
Moment de silence.
Alors tu dis quoi ? 
- Mais vous utilisez quoi comme engrais ? 
- Des engrais solubles simples. Principalement du sulfate d'ammoniaque. 
- Vous n'utilisez pas d'engrais biologiques ?
- Comment ça biologiques ? 
- Des engrais pour éviter de polluer. 
Nous y voilà.
- En fractionnant mes apports d'engrais, je ne pollue pas. 
- Mais vous n'employez que des engrais chimiques. 
- Excusez-moi, mais vous êtes agronome ? Je ne crois pas. Qu'ils soient chimiques ou organiques, les engrais sont absorbés par la plante sous forme de nitrate. C'est ça qui pollue. 
- Oui, mais vous n'employez que du chimique ? 
Laisse tomber, elle y connait rien. C'est pas sa faute, elle récite son laïus
- Oui madame, que du chimique. Au revoir madame.  

Elle m'a énervé. J'ai besoin d'un café.
Le banc de la cuisine, le liquide noir qui coule dans la tasse rouge. 
Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec les engrais organiques ? On dirait que parce qu'on en utilise, hop, on protège l'environnement. C'est pas la forme, mais la quantité d'engrais qui compte. Va essayer de tenir des greens en PACA avec 100 unités ( kg / ha) d'azote comme on le fait à l'Estérel. Avec leurs engrais organiques, c'est juste pas possible. Il faut monter à 180 voir 250 unités pour y arriver. Bonjour la pollution.
Et ce greenkeeper qui croyait bien faire en employant de l'engrais organique. Quand il a fait bien chaud et humide, l'engrais s'est minéralisé d'un coup faisant pousser le gazon à mort. Ils sont passés où les nitrates que la plante n'a pas pu absorber, tellement il y en avait ?
Le gars, il a tout gagné. Il a chopé une bonne attaque de pythium. Il a dû traiter toutes les semaines pour sauver son gazon. Bien vu l'écolo.
La cafetière s'arrête. Je prends la tasse. La vache, c'est chaud. J'aspire la mousse en attendant.
Le pire c'est que tous ces engrais, sensés protéger l'environnement, contiennent beaucoup de phosphore. Alors qu'il n'y a pas besoin d'en rajouter ; il y en a toujours assez dans le sol. Même dans des greens en sable. Tous ces marchands d'engrais qui te disent que le phosphore fait pousser les racines, qu'ils m'expliquent comment je peux en avoir de 15 cm de long, alors que j'utilise presque plus de phosphore depuis des années.
Et c'est pas le phosphore qui pollue nos rivières ?
J'avance la main. Le rond de café sur la table. La chaleur qui envahie ma gorge.
C'est fort. C'est bon.
Faut qu'on arrête de pleurer d'être pas assez reconnus. Faut bosser, étudier, se remettre en question. Quand j'apprends qu'il y a encore beaucoup de collègues qui font faire leur planning de ferti par leur fournisseur d'engrais, je crois rêver.
Sur le net, y a plein de docs, des études sérieuses. Y a aussi des bouquins. Bien sûr c'est en anglais et on est nul en anglais. Y a aussi les stages de l'AGREF ( association française des greenkeepers ). Ce sont toujours les mêmes qui y vont. A croire que les autres, ils savent tout.
Je finis ma tasse. Au fond ce goût amère qui persiste en bouche. Comme le goût de la colère.

Vite je grimpe dans le RTV. Putain de marche arrière qui passe pas. Quelle merde ce truc. Pourquoi ils m'ont acheté ça alors que l'engin que j'avais demandé était moins cher et beaucoup plus fiable.
Je passe devant les tees du 1. Personne. Je fonce. Merde, deux joueurs au milieu du fairway. Je me gare au fond du green et commence à dérouler mon tuyau. C'est bon, le drapeau est devant. Je vais pouvoir arroser les drypatchs du fond.
Qu'est ce qu'ils attendent ceux là ? Vas y joue. C'est bon, je t'ai vu.  De toute façon il va même pas atteindre le green. Tiens, voilà. Enfin je devrais pas râler, eux, ils préviennent avant de balancer leur balle. Des étrangers sans doute.
Je tourne le clapet, l'eau jaillit. J'inonde la tâche sèche. Je tire le tuyau pour avancer. Aie ! mon épaule. Je me suis fait une tendinite avec ces conneries. C'est crevant ce truc. Je me demande pourquoi je m'emmerde à faire ça. Tout le monde s'en fout. Du moment que c'est vert.
Pourtant arroser les drypatchs, c'est important. Ça évite d'arroser plus tout le green, pour quelques m2 secs. Moi, c'est quand un green est parfaitement vert en plein été que je me fais du soucis. Les gens y sont marrants. Ils croient que l'été c'est facile. C'est sec, on arrose. Mais le truc c'est d'arroser le moins possible. Et quand il fait plus de 30°C, c'est tendu. Trop d'eau, c'est pas bon. Ça asphyxie les sols, raccourcit les racines et alors, bonjour les maladies, les gazons faiblards plein de mousse et d'algues.
Les deux suédois finissent leur putt. Petits sourires en quittant le green.
Bon, faut que je me bouge. Le 2 c'est mort, pas possible de faire les drypatchs. Je vais pas emmerder mes gentils suédois deux fois de suite.
Je fonce au 3. Le RTV, le seul truc de bien, c'est que ça a de bonnes suspensions. Heureusement car, comme je roule comme un taré, j'aurai le dos en compote. La maladie des jardiniers.
Je traverse le fairway. Le 3, mon trou préféré : la forêt, l'Estérel, l'hôtel.
Putain, c'est moche ces zones brûlées tous les 20 mètres. L'arrosage, il est comme moi, il est fatigué.
Enfin, moche, on s'en fout. C'est peut-être cramé, mais ça se joue. Ils ont vu à Chambers Bay ou Pinehurst comment c'était. Pour un U.S.Open.
Va vraiment falloir qu'on arrête avec ces histoires de couleur. A Vineuil-Chantilly ou la Vaucouleurs, ils arrosent pas les fairways et pourtant ce sont de supers parcours.
Je me rappelle quand j'étais à Courson, mon directeur, un ancien directeur de tournois, me disait : " c'est pas bon Robert, c'est trop vert. Plus sec, toujours plus sec. Faut que ça roule ".
Ok, sur la Côte d'Azur, c'est pas pareil, mais quand même, un golf c'est pas un jardin public, un golf ça se joue. On a tout à gagner à arroser moins. Ou alors on donne raison aux écolos. Et là je serai d'accord avec eux.
J'ai les pieds trempés, l'épaule qui craque et, finalement, je me suis niqué le dos. Enfin les drypatchs, c'est fini.
Il est l'heure pour un autre café et quelques biscuits. Quand j'ai faim je suis de mauvais poil. Je souris. Plus que maintenant ?
Rebanc de cuisine. Reliquide noir qui coule dans la tasse rouge.
En pensant à l'autre et à son coup de fil, je comprends pourquoi je me suis mis en rogne.
Y en a marre de passer pour des cochons de pollueurs, des destructeurs de l'environnement. Quand on est greenkeeper, on aime la nature. Parfois il faut traiter, parfois il faut arroser ou fertiliser, mais on le fait le moins possible. D'abord parce qu'on a pas le pognon, mais surtout parce que cet environnement, avant d'être notre lieu de travail, c'est le nôtre. Et on a conscience qu'il faut en prendre soin.
Il y a 25 ans on utilisait 300, des fois 500 unités d'azote, on traitait tous les mois et parfois plus et on arrosait n'importe comment. Mais tout ça c'est fini. Il faut arrêter avec ces clichés et se renseigner avant de critiquer les golfs.
Je regarde ma montre. Juste le temps d'aller remettre les dégâts de sangliers. Je laisse ma tasse dans l'évier.
Putain faut vraiment que je le fasse ce blog. Y a des trucs à dire !




















1 commentaire:

  1. Bonjour Robert,
    Je reconnais là tous nos problèmes en un chapitre, encore plus en retour de congés.
    Continue à nous régaler avec ton journal, qui est certainement un peu poussé quelques fois pour des joueurs, mais un vrai régale pour tes amis et collègues.
    Amitié.
    François v.

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