A small world

Un rayon de lumière, de soleil. Voilà où il faut que j'aille. Encore quelques millimètres et ce sera la délivrance. La vie. Enfin, j'y suis arrivé. J'ai réussi à m'extraire du sol. Mais ce n'est pas fini. Pour survivre, je dois étendre mes feuilles. Les autres graminées sont bien développées et me privent de lumière. Or, sans elle, pas de photosynthèse. Pas de nourriture.



Puisant dans les dernières réserves stockées dans ma graine, je projette mes feuilles haut dans le ciel, au dessus des 4 mm de hauteur des autres plantes. Mais ce n'est qu'une petite victoire. Le plus important reste à faire, développer mon système racinaire.

J'entends une machine, au dessus. Du liquide en sort, en fines gouttelettes, comme de la pluie. Il contient de l'engrais. Je vais l'absorber et le diffuser dans mon organisme. Une chance, car pour l'instant, je suis incapable de subvenir seul  à mes besoins.

Beaucoup d'informations me proviennent des extrémités de mes racines, de la zone de transition, pour m'aider à étendre mon chevelu racinaire. Les premiers produits carbonés, issus de la photosynthèse, parviennent enfin à mes racines. Une grande partie va être relâchée sous forme d'exsudats racinaires. Ils serviront à nourrir les micro-organismes, bactéries et champignons, dont j'ai tant besoin. Car, si les vieux arbres peuvent alimenter les plus jeunes, cette relation n'existe pas entre graminées. Il faut se débrouiller seul. Enfin, seul, pas tout à fait. Je peux compter sur le soutien de plusieurs champignons, avec lesquels je vis en symbiose.
Les mycorhizes d'abord, qui, après avoir pénétrées dans mes cellules racinaires, vont former une symbiose. En échange de sucre, elles vont suppléer mes racines et leur permettre d'absorber 9 fois plus d'éléments nutritifs et d'eau. Et d'explorer jusqu'à 100 fois plus de sol. En plus d'augmenter ma résistance au froid et la sécheresse. Et d'améliorer le sol. En dégradant la matière organique et en contribuant au stock d'humus stable, jusqu'à 1/3.

Les mycorhizes pour un système racinaire plus développé
Un signal me parvient. Mes racines captent un message chimique provenant d'une plante voisine. Un champignon vient de causer la mort de plusieurs congénères. Comme pour confirmer la mauvaise nouvelle, je ressens de la douleur. Même si je n'ai jamais été en contact avec un tel champignon, je sens au plus profond de moi que je suis en danger. Comme un souvenir désagréable qui m'aurait été légué par mes ancêtres. Mes champignons symbiotes, alarmés par l'avertissement qu'ils ont, eux aussi, captés, réagissent vite. Dans un acte désespéré, ils projettent des filaments mycéliens vers l'envahisseur. La rencontre est fatale. Mais, avant de mourir, les mycéliums ont le temps d'envoyer aux racines des informations précieuses. Averti de la nature de la menace, j'ai le temps de synthétiser un antibiotique adapté. Et, lorsque l'ennemi profite pour m'envahir, de ce que certaines racines ne sont pas protégées par des champignons, il est impitoyablement détruit.

J'ai trouvé ma place. Il n'est pas facile de s'imposer dans un couvert végétal  mature. Mais, à force, j'y suis arrivé. Mes feuilles, tel des panneaux solaires, captent le soleil pour le transformer en hydrates de carbone, source d'énergie. Mes racines, sous la direction des zones de transition, sont devenues denses et profondes. De temps en temps, je reçois un peu d'engrais, que j'assimile par les feuilles. Juste un peu car, avec ma flore microbienne, je peux subvenir à mes besoins.
Je ne suis pas souvent malade. La plupart du temps, grâce aux champignons que je nourris, les pathogènes sont maintenus au minimum. Tant mieux, car les traitements fongicides sont presque inexistants.
Plusieurs fois par an, une grosse  machine fait des trous dans le sol. J'en profite pour y projeter mes racines. L'air entre à flot et régénère le sol et les micro-organismes avec lesquels je vis.

Mes zones de transition m'avertissent de la germination d'une graine, près de moi. Je vais lui faire un peu de place et lui permettre d'utiliser mes symbiotes.
Bienvenu camarade.

Ce récit anthropomorphise le comportement d'une graminée, bien sûr. Mais il n'est peut être pas si éloigné que ça de la réalité. En effet de nombreuses études montrent que les plantes sont loin d'être des organismes inertes. Dotées de capteurs sensoriels : mécaniques, chimiques, lumineux ou thermiques, elles peuvent détecter plus de 15 produits chimiques différents et communiquer entre elles. Et certaines d'entre elles sont capables de reconnaître des insectes prédateurs et de fabriquer l'insecticide correspondant.
La plupart de la vie d'une plante se passe au niveau des racines. Ces organes, en relâchant des substances nutritives, entretiennent une forte population de microbes qui décuplent les possibilités de se procurer de l'eau et des éléments nutritifs. En même temps qu'ils protègent contre les maladies et autres ravageurs. Ils ont aussi un rôle déterminant dans l'amélioration et la structuration des sols, notamment dans les environs immédiats des racines.
Enfin, des chercheurs ont découvert qu'à l'extrémité des racines, une zone, dite de transition, était composée de cellules dont la forme et le rôle, rappellent celles de neurones. Capables de percevoir l'air, l'humidité, la lumière et dotées du sens de l'orientation, elles permettent l'exploitation intelligente de l'environnement, en guidant les racines vers des zones favorables, en termes de structure et de nutrition. Leur activité est si proche de celle des cellules nerveuses du cerveau, que Charles Darwin n'a pas hésité à surnommer cette zone " root brain ". Une dénomination qui revient sur le devant de la scène, à la lumière de récentes découvertes.


L'important c'est la racine. Ce vieil adage, au fur et à mesure que progressent nos connaissances, révèle toute sa pertinence. Car, si le rôle des feuilles, au delà d'un rôle esthétique, peut être ramené à celui d'une surface d'échange d'air, d'eau et de transformation de l'énergie lumineuse en hydrates de carbone, ce sont les racines qui dirigent, protègent, nourrissent, orientent, renforcent le métabolisme de la plante. Elles sont le cœur, le cerveau et les organes vitaux. Et, à ce titre, elles doivent faire l'objet de toute notre attention.
Alors, la prochaine fois que vous marcherez sur un green, ayez bien conscience de tout ce qui se passe sous vos pieds.








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